C’est à une tentative de sabordage du procès pénal de l’amiante que se livrent les juges d’instruction du pôle de santé publique, avec le soutien du Parquet et de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.

Nous continuerons à demander justice !

Condé-sur-Noireau, Jussieu, Normed :
L’escamotage des responsabilités nationales

Dans une catastrophe sanitaire comme celle de l’amiante, les premiers responsables sont les décideurs économiques et politiques : ceux qui avaient le le pouvoir et le devoir de protéger les salariés et la population, ceux qui pouvaient informer, réglementer, interdire. Et qui ne l’ont pas fait.

La juge d’instruction Bertella-Geffroy avait eu le courage de mettre en examen neuf décideurs, industriels, scientifiques, lobbyistes ou hauts fonctionnaires qui occupaient des responsabilités nationales dans l’affaire de l’amiante.

Après son départ, d’autres juges d’instruction ont préféré leur donner l’absolution, estimant que qu’ils avaient fait au mieux, car les « connaissances scientifiques de l’époque » ne leur permettaient pas de mesurer la gravité du risque.

Cette affirmation grossièrement erronée, a été validée par la Cour de cassation le 14 avril 2015 dans le dossier de Condé-sur-Noireau. Elle a été remise au goût du jour en septembre 2017 dans les dossiers de Normed et Jussieu par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris qui a procédé à une une véritable réhabilitation du CPA et de l’AIA, l’association des industriels de l’amiante.

Condé-sur-Noireau :
Le médecin du travail mis hors de cause

Claude Raffaelli a été l’un des principaux acteurs de de l’affaire de l’amiante en France. Membre du CPA, il a été pendant 28 ans médecin du travail chez Ferodo-Valéo à Condé-sur-Noireau. Il a connu personnellement plusieurs centaines de victimes. Sa déontologie professionnelle aurait dû faire de lui un lanceur d’alerte. Il a préféré être le publiciste d’un matériau dont - mieux que personne - il connaissait les effets mortels.

La juge Bertella-Geffroy l’avait mis en examen pour « non-assistance à personnes en danger ». D’autres juges après elle l’ont mis hors de cause il y a quelques mois : en faisant passer son statut de mis en examen à celui de simple témoin assisté !

Ils se sont appuyés sur une expertise ad hoc, qui révèle ses énormes carences en matière de prévention mais se termine par des conclusions d’une surprenante bienveillance.

Après Everite et Arjuzanx
Vers une généralisation des non-lieu

Les magistrats du pôle de santé publique ont annoncé en juin dernier qu’ils mettaient fin à toutes leurs investigations dans une quinzaine de dossiers car il est, selon eux « impossible de dater l’intoxication » par les fibres d’amiante et donc « d’imputer la faute à quiconque ». Le Parquet s’est empressé d’approuver.

Cette motivation est si générale qu’elle permet d’absoudre tous les responsables, petits ou grands, dans tous les dossiers « amiante » au pénal !

Elle prépare des non-lieu en série. à l’heure où nous bouclons ce numéro du Bulletin de l’Andeva, des non-lieu ont déjà été rendus en décembre dernier dans les dossiers d’Everite et d’Arjuzanx, deux entreprises où l’amiante a provoqué une véritable hécatombe. D’autres devraient suivre.

100 000 morts annoncées, 21 ans d’instruction pour en arriver là ! Où est la Justice ?


Combien resteront à juger ?

Dominique Moyen, un des principaux responsables du drame de l’amiante, est mort en décembre 2017. Ex-directeur général de l’INRS de 1982 à 1996, il avait été l’un des fondateurs du CPA, structure de lobbying des industriels…

Avant, lui, deux des principaux industriels de l’amiante avaient disparu : Cyrill X. Latty en 2013 et Joseph Cuvelier, PDG d’Eternit, en 2014.

A ce rythme, si nous réussissons à imposer la tenue de ce procès , combien restera-t-il de personnes à juger dans le box des accusés ? Et combien de parties civiles seront vivantes pour témoigner ?

Nous irons jusqu’au bout !

Face à cette tentative d’enterrer tous les dossiers du procès pénal, la Fnath et l’Andeva ont annoncé dès le mois de juin dernier qu’elles iraient en appel voire en cassation, si des non-lieu étaient prononcés.

Nos avocats ont de solides arguments pour démontrer que les juges d’instruction ont tordu les conclusions de l’expertise scientifique qu’ils ont eux-mêmes commandée pour lui faire dire le contraire de ce qu’elle dit.

A l’origine des maladies de l’amiante, il y a, non pas un événement ponctuel, mais un processus cumulatif, où chaque nouvelle fibre inhalée augmente à la fois le risque de survenue et la sévérité de la pathologie.

Rechercher la date de début du processus pathologique pour retrouver des responsables est a peu près aussi pertinent que rechercher à quelle date a été fumée LA cigarette censée être l’unique responsable d’un cancer du poumon.

Les périodes d’exposition à l’amiante sont connues. Ceux qui étaient aux affaires à l’époque aussi. C’est de là qu’il faut partir pour établir des responsabilités. Et la jurisprudence montre qu’elles peuvent être multiples.

L’enjeu des prochaines batailles judiciaires sur le pénal est énorme. Accepter le raisonnement des juges d’instruction serait délivrer un « permis de tuer » permanent aux industriels non seulement pour l’amiante mais encore pour tous les produits à effet différé (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques).

Ils deviendraient « pénalement intouchables » pour les catastrophes sanitaires passées, présentes et à venir !

Comment imaginer qu’une cour d’appel et a fortiori une cour de cassation puisse valider une telle monstruosité ?