Paul François est président de l’association Phyto-Victimes, qui aide et accompagne les professionnels victimes des pesticides. Il a eu le courage d’engager une action contre le géant Monsanto. François Lafforgue, est à ses côtés. Il plaide ce dossier depuis douze ans.

Paul, comment as-tu pris conscience de la dangerosité des pesticides ?

Paul François : Leur utilisation intensive a débuté dans les années 70-80 : insecticides, fongicides, désherbants sélectifs... L’accueil des agriculteurs a d’abord été plutôt bienveillant. Ces produits semblaient garantir des rendements et donc des revenus. Les premières inquiétudes sont apparues dans les années 90, avec le constat d’une baisse de leur efficacité et d’une dégradation des sols qui devenaient inertes.
Avant d’en être moi-même victime, je me suis posé des questions sur les effets de ces produits sur l’environnement, mais je n’aurais jamais pensé qu’ils aient des effets à moyen et long terme sur la santé humaine.

Tu as été victime d’un accident.

P.F. Oui, le 27 avril 2004, je vérifiais le nettoyage automatique d’une cuve embarquée qui avait contenu du Lasso. La cuve avait chauffé au soleil. Quand je l’ai ouverte, un gaz très agressif s’est dégagé. J’ai ressenti aussitôt une brûlure des voies respiratoires et une vague de chaleur sur tout le corps. J’ai perdu connaissance. J’ai dû être conduit à l’hôpital.

Dans les mois suivants, mon état s’est aggravé : j’ai ressenti de violents maux de tête, je suis tombé plusieurs fois dans le coma.

Les médecins se refusaient à faire le lien avec l’exposition accidentelle au Lasso. Certains évoquaient une dépression nerveuse. Il a fallu l’insistance de mon épouse et de mon entourage pour obtenir une analyse de sang qui a retrouvé des résidus du métabolisme du lasso. J’ai fait une déclaration d’accident qui a été refusée par la Msa en juillet 2005.

J’ai contesté ce refus avec l’aide d’André Picot qui m’a mis en relation avec Henri Pézerat. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de François Lafforgue.

L’accident du travail a été reconnu. J’en suis alors arrivé à l’idée d’engager une action contre Monsanto.

C’est une longue bataille judiciaire...

François Lafforgue : Elle a eu lieu au civil d’abord pour faire reconnaître le caractère professionnel des problèmes médicaux de Paul François.

Nous avons contesté les premiers rapports d’experts. Finalement nous avons obtenu une expertise favorable. Les déboires médicaux qui ont suivi l’’accident du travail du 27 avril 2004 ont été reconnus d’abord par le tribunal d’Angoulème, puis par la cour d’appel de Bordeaux en 2010. La décision est définitive.

Où en est l’action judiciaire ?

F.L : Elle vise à démontrer la responsabilité de Monsanto, qui a commis une double faute :

1) Il a failli à son obligation de vigilance en mettant sur le marché un produit dont il connaissait parfaitement la dangerosité (en 2004, le Lasso avait été interdit au Canada, en Australie, au Royaume Uni et en Belgique. Mais en France, il ne sera retiré qu’en 2007).

2) Il n’a pas informé les utilisateurs des dangers de ce produit tant au niveau de l’étiquetage que des consignes d’utilisation.
Monsanto a été reconnu responsable le 13 février 2012 par le tribunal de grande instance de Lyon, décision confirmée par la cour d’appel de Lyon le 10 septembre 2015.

Monsanto a formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon.

Où en est l’association Phyto-Victimes dont tu es président ?

P.F. : L’association a été créée le 19 mars 2011 pour venir en aide à tous les professionnels victimes des pesticides. Le syndicalisme agricole ne se saisissait pas de ces problèmes. Elle regroupe aujourd’hui plusieurs centaines de professionnels dont la santé a été altérée par ces produits. Elle emploie trois salariées à plein temps. Jamais je n’aurais imaginé que nous aurions autant de travail !

L’association Phyto-Victimes participe à des groupes de travail dans des agences scientifiques ou au sein des ministères sur des thèmes liés à l’indemnisation, la prévention, la santé au travail, les autorisations de mise sur le marché.

La création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides a finalement été refusée par le gouvernement.

P.F. : Ce refus a été motivé par des arguments contradictoires.

Le projet de loi initial prévoyait d’inclure les riverains victimes des pesticides. On nous a objecté que c’était « ouvrir une boîte de Pandore ». Le projet amendé par le Sénat se limitait aux victimes reconnues en maladies professionnelles. On nous a alors fait l’objection inverse : pourquoi ne pas prendre en compte les riverains ? Pourquoi certaines pathologies et pas d’autres ?

Les vraies raisons de cette opposition sont ailleurs : le gouvernement veut protéger les fabricants et pratique un double discours. On l’a bien vu sur le glyphosate.

Peut-on faire un parallèle entre l’amiante et les pesticides ?

F.L : Oui, il y a beaucoup de points communs entre ces deux scandales sanitaires : l’organisation systématique de la désinformation par les lobbies des pesticides et de l’amiante, le discours sur l’usage « contrôlé » d’un produit qui aboutit à culpabiliser ceux qui en font une « mauvaise utilisation », l’importance du temps de latence entre exposition et maladie qui crée une invisibilité du risque, la faillite du système sanitaire, la responsabilité première des industriels avec la complaisance de l’Etat.

N’est-ce pas tout le système de production agricole qu’il faut repenser ?

P.F. : Oui, je comprends la peur des agriculteurs mais il faut sortir de la chimie. Depuis 2018, 100% de mon exploitation est passée au bio.


 

PHYTO-VICTIMES : Les buts de l’association

Son but premier est d’apporter un soutien aux victimes des pesticides :

- faire reconnaitre les pathologies professionnelles,

- défendre les droits des malades,

- agir pour que les produits les plus nocifs soient retirés du marché,

- travailler pour que soit mis en place un système d’évaluation, d’homologation et d’autorisation des pesticides qui soit indépendant, transparent, et appliquant strictement le principe de précaution

- participer à des études scientifiques – épidémiologiques et toxicologiques – indépendantes sur les effets des pesticides sur la santé

- promouvoir des alternatives ne mettant plus en danger la santé des professionnels et de leurs proches

- soutenir la prévention