Le 20 juin, si la date ne change pas, la chambre sociale de la Cour de cassation en formation plénière devrait examiner la demande de 732 mineurs lorrains exposés non seulement à l’amiante mais à bien d’autres produits cancérogènes. Cette multi-exposition sera-t-elle prise en compte ? L’enjeu est considérable pour tous les salariés de ce pays.
Quel bilan tirent les mineurs de Lorraine CFDT de l’action du 22 mars devant le Palais de Justice de Paris et de l’arrêt de la cour de cassation ?
Nous sommes satisfaits. La mobilisation unitaire le jour de l’audience a été un succès. Cet arrêt est important. Il n’enlève rien aux salariés dont l’établissement est inscrit sur les listes. Et il permet à d’autres de faire reconnaître leur préjudice d’anxiété. C’est une avancée, mais beaucoup de dossiers se heurteront au problème de la prescription.
Nous attendons maintenant l’audience en formation plénière de la chambre sociale de la Cour de cassation qui devrait se réunir le 20 juin pour examiner les dossiers de 732 mineurs et de 39 cheminots.
Quel est l’enjeu de cette audience ?
La Cour de cassation a ouvert une porte pour les salariés exposés à l’amiante. L’ouvrira-t-elle pour ceux qui sont exposés à d’autres cancérogènes. Telle est la question qui sera posée le 19 juin.
Les mineurs de Lorraine ont été exposés non seulement à l’amiante mais aussi à la silice, aux résines phénoliques, au formaldéhyde et à beaucoup d’autres cancérogènes. Les prud’hommes avaient reconnu l’anxiété résultant de cette poly-exposition, mais la Cour d’appel de Metz nous a déboutés.
Elle a balayé les preuves que nous avions réunies : les témoignages, les PV de CHSCT, les tracts syndicaux, les infractions de la direction... Malgré l’importance du nombre de malades et de morts, elle a jugé que les Houillères n’avaient rien à se reprocher.
Peux-tu donner quelques chiffres ?
En 2013, quand les dossiers de 732 mineurs ont été déposés, aucun d’entre eux n’était malade. A ce jour, 230 d’entre eux sont atteints d’une maladie professionnelle reconnue et 39 en sont décédés.
Nous comptons :
113 maladies qui sont liées à l’amiante,
90 silicoses,
6 cancers de la peau,
5 cancers de la vessie,
7 cancers du rein,
1 lymphome,
2 mélanomes,
3 leucémies,
5 bronchopneumopathies obstructives (BPCO).
A ce jour, vingt fautes inexcusables de l’employeur ont été reconnues pour ces maladies. Pour les autres, c’est une question de temps.
Ces chiffres terribles sont le reflet de nos conditions de travail. Les mineurs ont été exposés à l’amiante au fond et en surface. Au fond, il y en avait dans les joints, les systèmes de freinage et les embrayages des machines. Nous découpions des joints de moteurs dans de grandes plaques de klingérite. Dans les ateliers en surface les plaques d’amiante étaient meulées sans aspiration ni protection. Pas de masque, aucune information sur le danger. Il y a eu des mesures d’empoussièrement à plus de 100 fibres par litre.
Il n’y avait pas que l’amiante. Il y avait bien d’autres cancérogènes dans la mine : la silice, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le trichloréthylène, le toluène, les PCB (dans les huiles hydrauliques)...
Peux-tu en donner des exemples ?
Une étude récente montre qu’on peut retrouver dans l’organisme d’un mineur des taux de PCB supérieurs aux normes, 30 ans après la fin de l’exposition aux huiles contenant des polychlorobiphéniles.
Les PCB provoquent diverses pathologies : des mélanomes, des cancers du foie et du pancréas...
Un chiffre me paraît frappant : entre 1985 et 1990, à Merlebach, on descendait un million de litres d’huile par an au fond de la mine. Et rien n’est remonté... Il y avait une nuée de flexibles hydrauliques pleins d’huile. Quand l’un d’eux claquait, on se retrouvait couvert d’huile de la tête aux pieds. C’était très fréquent.
Nous utilisions des explosifs. Les fumées de tirs se répandaient dans les galeries, avec des vapeurs nitreuses qui dépassaient jusqu’à 400 fois la valeur limite d’exposition professionnelle. Beaucoup de roches contenaient du mica. Les mouvements d’air transportaient des poussières de charbon, de silice, d’amiante, de mica et tous les cancérogènes libérés par les travaux d’exploitation.
Il y avait beaucoup d’engins diesel au fond de la mine. Nous étions obligés de respirer leurs gaz d’échappement. Cela donnait des maux de tête.
Au fond, nous n’avions rien pour nous changer. Pour nous nettoyer nous prenions du trichloréthylène qui est un produit cancérogène et mutagène ou encore des huiles cancérogènes. On s’en servait comme si c’était du savon ! Il y avait des karchers au trichlo pour nettoyer les moteurs électriques. Des dizaines de milliers de litres de trichlo ont été utilisés chaque année.
N’étiez-vous pas informés du risque ?
Non, nous ne savions pas que tous ces produits étaient dangereux. Ce sont des scientifiques comme André Cicollela, Jean-Claude Zerbib, Roger Rameau, Lucien Privet ou Henri Pézerat qui nous ont ouvert les yeux.
On a du mal à imaginer les conditions de travail d’un mineur à cette époque...
Au fond, nous étions exposés 8 heures par jour à de véritables cocktails chimiques. Il n’y avait pas de lavabos, pas d’eau, pas de chauffe-gamelle, pas de WC. On cassait la croûte avec un sandwich, sans se laver les mains. Les produits pénétraient dans notre organisme par toutes les voies possibles : par inhalation, par ingestion et par voie cutanée.
Les Houillères ne fournissaient pas de vêtements de travail. La société a toujours refusé de laver les bleus. Quand nous les ramenions à la maison, ils étaient dans un tel état qu’il fallait les faire bouillir. Dans les années 70, on travaillait le samedi. La lessive avait lieu le dimanche.
L’avocate des Houillères a osé dire que « les mineurs n’avaient qu’à changer de vêtements de travail tous les jours ».
Comment avez-vous travaillé pour prouver que le préjudice d’anxiété était bien réel ?
Pour apporter la preuve des multiples expositions professionnelles à tous ces cancérogènes, il a fallu réunir des milliers d’attestations. La concentration géographique des familles de mineurs dans les cités minières et les environs nous a facilité le travail : nous avons réuni des témoignages, des photos, des notes de service, des dessins. Cela nous a permis de documenter précisément chaque activité professionnelle de la mine.
Notre premier but est de prouver que nous avons été exposés à de multiples cancérogènes. Nous devons faire ce travail maintenant, car nous ne savons pas qui d’entre nous restera dans dix ans pour défendre nos veuves.
Qu’attendez-vous de la Cour de cassation ?
Nous attendons d’elle une jurisprudence qui ouvre le préjudice d’anxiété à tous les cancers avérés. Quand nous avons rencontré maître Jean-Paul Teissonnière en février 2013, il nous a lu la définition du « préjudice de contamination » donnée par Madame Lambert-Faivre, une juriste spécialiste du dommage corporel : « Préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition, à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ».
Chez nous cela a fait tilt ! Quel que soit le nom donné à ce préjudice, c’était bien cela que nous voulions faire reconnaître.
Depuis 2013, nous avons rencontré bien des difficultés. En première instance, le Conseil de prud’hommes de Forbach a reconnu le préjudice d’anxiété, mais il n’a accordé que 1000 euros d’indemnité. « Cela ne paye même pas le cercueil », a dit un collègue...
Puis, la Cour d’appel nous a déboutés, en suivant aveuglément les Houillères. Nous espérons que la Cour de cassation nous rendra justice.
A l’audience, nous serons aux côtés de nos camarades cheminots de Marseille.
Une deuxième mobilisation unitaire est prévue, dans le prolongement de celle du 22 mars, avec la CGT EDF, la CFDT des mineurs de Lorraine, l’Andeva, la CAVAM et la FNATH qui nous a rejoints.
Nous avons retrouvé le chemin de l’action commune. C’est une force et une promesse pour l’avenir.