Jorge Munoz, maître de conférences HDR en sociologie, est Directeur scientifique. Olivier Crasset, docteur en sociologie, est ingénieur de recherche. Tous deux mènent depuis deux ans l’enquête-action RISPOP29 au Laboratoire d’études et de recherches en sociologie (Labers), à l’Université de Bretagne occidentale à Brest. Ils nous expliquent ce travail utile et original.

Qu’est-ce que le Rispop 29 ?

C‘est une recherche interventionnelle en santé publique sur le suivi médical post-professionnel (SPP). Elle a débuté le premier juin 2021. Elle est financée par l’Institut National du Cancer (INCa) pour une durée de quatre ans.

Le suivi médical post-professionnel est un dispositif de prévention secondaire destiné aux retraités ayant été exposés à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques au cours de leur parcours professionnel. Ce dispositif reste aujourd’hui largement méconnu et sous-employé.

Dans un premier temps, notre objectif est de parvenir à un diagnostic partagé avec tous les acteurs impliqués dans son fonctionnement. Il s’agira ensuite de proposer des modifications pour le rendre plus efficient.

L’étude est centrée sur le Finistère, avec l’ambition d’étendre les nouveaux modèles qui seront proposés à d’autres territoires dans une phase ultérieure.

Quels sont vos partenaires pour ce projet ?

- L’INCa, le Labers et le CHRU sont des organismes de recherche avec qui/ pour qui nous travaillons

- la CPAM, la Carsat et le SPST Santé au travail en Cornouailles sont des institutions qui se sont mobilisées pour nous aider et nous ont fourni des données

- nous sommes en relation (sans qu’une convention ait été signée) avec la MSA, la Dreets, les SPST Iroise et Présantra.

- nous avons enquêté auprès des adhérents des associations suivantes : Collectif des irradiés de l’Ile Longue, Association des officier mariniers du Finistère Nord (AOM29N), Association des salariés en cessation anticipée d’activités amiante (ASC3A), ADDEVA29.

Nous n’avons pas mené d’enquête auprès du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest du fait de la non-existence de SPP dans cette population.

Quelles difficultés particulières a rencontré cette étude ?

Le suivi post-professionnel est mis en oeuvre par plusieurs régimes de Sécurité sociale : le Régime Général, La Marine nationale (militaire), celle de commerce (Enim), les ouvriers d’Etat, les fonctionnaires et le Régime Agricole. Tous ont des règles différentes.

Au sein de la médecine du travail, il y a aussi de grandes différences entre des services autonomes et des services inter-entreprises.

Il a fallu nous adresser à des interlocuteurs différents.

Le cadre réglementaire a changé...

Oui, il y a eu une série d’évolutions législatives et réglementaires dans le domaine de la santé au travail. La loi du 2 août 2021 par exemple a modifié les missions des services de santé au travail.

Une visite de fin de carrière a été instaurée. Elle est la porte d’entrée vers le SPP.

Comment est organisée votre enquête ?

Elle est menée au laboratoire de sociologie de l’Université de Bretagne Occidentale (Labers). Il y a un comité de pilotage et un comité scientifique qui réunissent tous nos partenaires.

Avez-vous pu obtenir des données chiffrées sur l’état du suivi post-professionnel dans le Finistère ?

Les seules données chiffrées obtenues viennent du régime général de Sécurité sociale, où il y a en moyenne une vingtaine de demandes par an dont 90% sont acceptées.

C’est un chiffre très faible. Comment l’expliquez-vous ?

Les personnes concernées ne sont pas informées sur leurs droits et ne savent pas à qui s’adresser. L’information devrait être délivrée par un guichet unique.

Dans beaucoup d’administrations ce dispositif est inconnu des personnes qui devraient répondre aux questions des retraités.

Même constat à l’accueil de certaines caisses primaires de Sécurité sociales.

La plupart des médecins ne connaissent pas les démarches à faire et ne peuvent conseiller leurs patients.

Vous avez évoqué le nombre de demandes, mais le nombre des examens qui sont finalement réalisés est en général inférieur au nombre de demandes.

Les chiffres confirment cet écart :

Au total, pour le régime général ces deux dernières années, 36 personnes ont reçu un accord.

Sur ces 36 personnes, 32 ont passé des examens (4 n’ont rien fait).

Sur les 32 personnes qui ont passé des examens, 2 seulement ont utilisé les formulaires réglementaires Les 30 autres ont passé des examens « hors cadre » !

Pourquoi une telle proportion d’examens « hors cadre » ?

Des soignants déplorent la longueur des délais de paiement de leurs honoraires et incitent les assurés à utiliser leur carte Vitale, ce qui met indûment le coût de ces examens à la charge de la branche maladie. Rares sont les retraités qui refusent.

La réglementation fait de ce suivi médical une démarche individuelle

Oui, mais des individus isolés peuvent avoir des réactions de découragement ou d’anxiété qui les dissuadent de rechercher la mémoire enfouie de leurs expositions passées.

Si le suivi se situe dans un cadre collectif avec l’aide d’associations de victimes, elles peuvent bénéficier d’un soutien efficace.

Le non-recours à des examen médicaux gratuits est un problème.

L’absence d’information des bénéficiaires potentiels en est une cause essentielle. C’est encore plus frappant pour le suivi médical post-professionnel « hors amiante » qui est pratiquement inexistant, alors que des cancérogènes comme les poussières de bois et les fumées de soudure sont très répandus.

Quels acteurs peuvent jouer un rôle déterminant dans l’information des salariés et des retraités ?

Chacun des régimes sociaux connait les risques auxquels la population de ses ressortissants est exposée. Ils doivent donc prendre l’initiative de les informer, comme l’a fait la Carsat Bretagne en 2016, en envoyant un courrier et 2400 questionnaires d’exposition à remplir. En fonction des réponses, elle a évalué les niveaux d’exposition et donné un accord de prise en charge, lorsque l’exposition était considérée comme forte ou intermédiaire. Elle a ainsi délivré 800 accords de prise en charge. Et l’on est passé de 20 demandes à 300 demandes de suivi post-professionnel, avec une simple lettre d’information !

Comment instaurer une continuité entre le suivi médical des actifs et le suivi des retraités ?

Les actifs sont suivis par le médecin du travail. Il doit recueillir la parole du salarié et assurer une traçabilité des expositions professionnelles à des produits CMR dans le dossier médical, les fiches de postes, la fiche d’entreprise, le document unique... Il faut donner aux médecins du travail des outils tels que les matrices emplois-expositions afin de les aider à la réalisation d’un curriculum laboris. C‘est ainsi que se prépare la visite de fin de carrière par les services autonomes de certaines grandes entreprises.

Il y a un gouffre entre ces situations de travail et celles des TPE.

Le monde du travail a changé. 20% des salariés français travaillent aujourd’hui dans des entreprises de moins de 10 personnes. Le patron d’une TPE peut être exposé à des produits CMR dans les mêmes conditions que ses salariés. Cela mérite une réflexion particulière, à laquelle peuvent contribuer les inspecteurs du travail.

[Voir le livre d’Émilie Legrand et Fanny Darbus : « Santé et travail dans les TPE. S’arranger avec la santé, bricoler avec les risques » Erès, coll. Clinique du travail, 160 p.]

Le suivi post-professionnel ne concerne pas que les retraités. Les chômeurs et les inactifs peuvent - théoriquement - en bénéficier.

Chez les chômeurs il n’y a pratiquement aucune demande.  Le Pôle emploi (France Travail) devrait informer systématiquement les chômeurs âgés sur leurs droits.

Certaines catégories de travailleurs sont exclues de fait du dispositif ?

Les travailleurs indépendants n’ont pas accès au suivi, sauf si leur parcours professionnel comporte des périodes travaillées comme salarié.

Les travailleurs à statut précaire (intérimaires, contrats à durée déterminée) bénéficient très rarement de ce suivi.

Finalement, quel est, l’intérêt d’une recherche-action telle que le RISPOP29 ?

C’est une démarche de santé publique. Elle montre qu’on peut mener des études dont l’objet ne soit pas seulement la production de connaissance mais aussi le changement des pratiques avec la participation des acteurs eux-mêmes.

En mettant dans la même pièce des acteurs qui ne se côtoient pas ordinairement, nous pouvons faire avancer la réflexion et créer des synergies.

Rispop 29 doit contribuer à améliorer l’information, augmenter le nombre d’examens de suivi, améliorer la formation des médecins, sensibiliser les travailleurs sociaux, diffuser ces travaux sur le Finistère pour élargir ensuite à d’autres régions.

Nous devons cependant être conscients des limites de notre travail. Nous ne prenons pas de décisions ; nous émettons seulement des recommandations, en espérant qu’elles seront prises en compte.

Il y a encore beaucoup à faire. A l’exception des cancers digestifs, il n’y a pas de registre des cancers dans le Finistère.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°72 (janvier 2024)