« Penser le travail au prisme des cancers professionnels »

Le GISCOP 93, Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis organisait un colloque à l’occasion de ses 20 ans les 16 et 17 octobre 2023.
Ce colloque était intitulé
« Penser le travail au prisme des cancers professionnels. Une priorité dans la lutte contre les inégalités sociales de santé ». Il s’est tenu sur deux jours au campus universitaire de Bobigny et a réuni des personnes venues de « mondes » différents : chercheurs en médecine,et en sociologie, étudiants dans ces deux  domaines, militants syndicalistes et associatifs, ainsi que des personnes ayant été exposées à des cancérogènes sur leur lieu de travail et /ou atteintes d’une pathologie cancéreuse. Hélène Boulot, la directrice de l’Andeva a assisté à la première journée qu’elle a trouvé passionnante. Elle en fait ici le récit.

PANEL N° 1: L’intérêt d’une recherche-action

Le premier panel était intitulé « Le GISCOP 93, une recherche action pour rendre visible les cancers du travail ». Il nous a permis de nous rendre compte de l‘intérêt social et direct que représente la méthode appelée « recherche-action ».

Cette méthode de recherche en sociologie se base sur une analyse du vécu des personnes concernées. L’analyse sociologique se construit au fur et à mesure de ce qui se passe pour les personnes concernées, avec elles et en lien avec les acteurs institutionnels.

Cela permet de mieux appréhender des questions telles que : que se passe-t-il au moment du diagnostic ? Comment affiner avec des services d’oncologie le questionnaire lié au travail passé ? Quels intérêts pour le malade et sa famille, mais aussi quel intérêt socialement de faire une démarche de reconnaissance lorsqu’on est atteint par un cancer ?

Et au final, pour le malade et sa famille, cela permet de mieux comprendre ce qui leur arrive et les enjeux pour eux et la société.

 

Une meilleure réparation des cancers professionnelles = Une meilleure prévention des risques.

Le résultat de ce travail : les cancers professionnels ont été plus souvent déclarés, et plus souvent reconnus. Ils sont ainsi rendus visibles.

Au-delà des droits légitimes à indemnisation que cela génère pour les personnes et les familles concernés, c’est aussi un lien direct avec la prévention des risques cancérogènes dans les milieux de travail.

Là où cette méthode a été appliquée, il y a eu immédiatement une meilleure connaissance des cancers professionnels, y compris pour les personnes et les familles concernées. Elles

ont plus facilement déclaré la maladie professionnelle, il y a donc eu davantage de reconnaissances en maladies professionnelles.

Ces reconnaissances ont permis de faire payer à la branche accident du travail maladie professionnelle non seulement l’indemnisation versée, mais ont aussi permis que la branche maladie de la sécurité sociale se fasse rembourser les soins et traitements lourds liés aux cancers. Par ce mécanisme, cela permet aussi plus d’argent pour notre système de santé qui en manque cruellement.

Au vu des chiffres présentés il y a urgence :
Entre 42 000 et 82 000 nouveaux cas de cancers professionnels par an, et seulement 1800 reconnus (dont  1200 à  1300  liés à  l’amiante et 500 à 600 «  hors amiante »)

Réparer, indemniser un cancer professionnel, plus qu’un droit, c’est
un devoir pour notre société.

PANEL N° 2 : Les causes des inégalités d’accès à la Santé

Dans le panel 2, les chercheurs ont présenté les mécanismes qui accentuaient les inégalités d’accès à la santé : les territoires et couches sociales, professions les plus exposés aux cancers professionnels sont aussi ceux qui ont le plus de difficultés d’accès à la santé.

Dans ce panel, de puissants témoignages des femmes, exposées à l’oxyde d’éthylène ; ex salariées exposées chez Tetra médical. Nous sommes là sur des contaminations sur plusieurs générations : les salariés de l’entreprise, mais aussi leurs enfants contaminés et qui ont développé des maladies graves du fait d’une contamination intra utérus.

L’étude présentant le surrisque de cancer du sein chez les personnes travaillant la nuit a également été

présentée (voir Bulletin de l’Andeva n°67), ainsi qu’une étude sur les risques chez les apprentis. Comment ne pas penser là à l’ouvrage de Nicolas MATHIEU, prix Goncourt « Leurs enfants après eux ».

PANEL N° 3 : Espace d’ignorance et angles morts

Enfin, cette journée se terminait par le panel 3 :
« Espace d’ignorance et angles morts : quels dispositifs de recherche pour quelles connaissances ? ».

Avec une critique radicale de la notion de « part attribuable » pour les cancers professionnels.

Cette notion prétend distinguer la part du cancer qui serait dû aux facteurs de risque personnels et ceux dus aux facteurs de risques professionnels. Or, l’étude montre qu’il existe de nombreuses sources d’incertitudes et des biais sur les chiffres présentés. Notamment, les travaux des sociologues présentés ici remettent en cause les risques liés au tabac si on ne prend pas en considération la catégorie socio-professionnels. Une notion qui doit être abordée dans les études ainsi menées concernant les facteurs de risques et d’atteinte à la santé est celle du FAP (facteur de risque professionnel et environnemental), ce qui est rarement le cas.

Par conséquent, le corps médical dans sa majorité interroge rarement le travail du patient ; alors que c’est la source d’une meilleure connaissance des atteintes à la santé.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°72 (janvier 2024)