LES  TABLEAUX 30 ter ET 47 ter

Un nouveau tableau de maladies professionnelles  réunit les cancers du larynx et de l’ovaire. Il porte le numéro 30 ter dans le cadre du Code de la Sécurité sociale et a été crée par un décret  du 14 octobre 2023.

Pour le régime agricole, un tableau avait déjà été créé par un décret du 11 août 2023, sous le numéro 47 ter dans le cadre du Code rural et de la pêche maritime.

Cette création est le résultat des travaux de la Commission spécialisée des pathologies professionnelles du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT).

Elle intervient surtout suite au rapport d’expertise collective de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) de janvier 2022  (disponible sur Internet).

En fait ce tableau a été créé bien  tardivement puisque le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) dépendant de l’OMS - qui fait autorité en matière d’épidémiologie des cancers -  avait classé dès 2012 l’amiante dans la catégorie des cancérogènes avérés pour l’homme (groupe 1) pour le larynx et les ovaires.

 

Les trois colonnes du tableau

Un tableau des maladies professionnelles énonce les conditions nécessaires et suffisantes pour que la victime soit reconnue en maladie professionnelle, bénéficiant alors de la présomption d’origine.

Il est divisé en 3 colonnes :

- à gauche : la désignation de la maladie,

- au milieu : le délai de prise en charge qui est le temps maximal à ne pas dépasser entre la fin de l’exposition et la première constatation médicale et éventuellement une durée minimale d’exposition,- à droite : la liste des travaux susceptibles deprovoquer la maladie professionnelle qui peut être indicative ou limitative.

Le délai de prise en chargeLe délai de prise en charge pour ces deux cancers est de 40 ans dans le tableau 47 ter du régime agricole et de 35 ans dans le régime de la Sécurité sociale.

Par comparaison le délai de prise en charge du cancer du poumon dans le tableau 30 bis (sans atteinte bénigne préalable) est de 40 ans.

La durée minimale d’exposition

La durée minimale d’exposition est de 5 ans pour les deux cancers dans les deux nouveaux tableaux.

C’est un net progrès par rapportà la durée de 10 ans exigée dans le tableau 30 bis (cancer du poumon lié à l’amiante).

La liste des travaux

La liste des travaux du tableau 30 ter est limitative comme celle du tableau 30 bis (seuls des travaux figurant dans cette liste sont pris en compte).

Elle reprend pour l’essentiel les travaux du tableau 30 bis. Mais elle y ajoute, deux types de travaux qui n’y figuraient pas :

- « Travaux habituellement réalisés dans des locaux exposant directement à l’amiante à l’état libre.

- Travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l’amiante ».

C’est un net progrès.

NB : la liste des travaux du tableau 30 ter (régime général) est un peu plus longue que celle du tableau 47 ter (régime agricole). Cela s’explique par le fait que des travaux exposant à l’amiante dans certaines activités industrielles ne se retrouvent pas dans les activités agricoles.


Le cancer du larynx

 Le larynx

Le larynx fait partie des voies aériennes supérieures,  reliant  la gorge à la trachée. Il contient les cordes vocales. On distingue alors plusieurs étages :

- l’étage sus-glottique, au dessus des cordes vocales en mentionnant l’épiglotte situé au niveau du carrefour aéro-digestif et empêchant les aliments de pénétrer dans les voies aériennes ;

- l’étage glottique correspondant aux cordes vocales ;

l’étage sous-glottique en dessous des cordes vocales.

Le cancer du larynx

Le cancer du larynx est principalement situé dans la zone des cordes vocales, ce qui fait que les troubles de la voix sont souvent le premier signe de manifestation du cancer.  Il se développe surtout à partir du revêtement interne de la paroi et on parle alors de carcinome épidermoïde.

Pris à temps et traité (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) son pronostic est intermédiaire, mais le risque reste l’envahissement locorégional, sachant que les métastases sont peu fréquentes. Le taux de survie à 5 ans est de 56 % chez l’homme.

Le nombre de nouveaux cas par an (l’incidence) est de l’ordre de plus de 3 000 (par comparaison aux  plus de 50 000 nouveaux cas de cancer du poumon par an).

9 cas sur 10 concernent les femmes.

L’âge médian de survenue du cancer est de 64 ans chez l’homme.

Une nouveauté

La nouveauté des  tableaux,  par comparaison aux autres tableaux de maladies professionnelles concernant des cancers,  est la prise  en compte d’états précancéreux correspondant au libellé « dysplasie primitive de haut grade ».

Les clés du système des tableaux

1) Le système des tableaux repose sur un principe : la présomption d’origine : si tous les critères du tableau sont remplis,  la maladie doit être reconnue, même s’il existe des facteurs extra-professionnels.

2) Si certains critères ne sont pas remplis, la victime doit pour être reconnue démontrer l’existence d’un lien direct entre exposition et maladie (alinea 6). Ce qui est difficile.

3) Si la maladie ne figure dans aucun tableau, elle doit démontrer l’existence d’un « lien direct et essentiel » (alinéa 7). Ce qui est encore plus difficile.

Dans les deux derniers cas, il n’y a pas de présomption d’origine. Le dossier est examiné par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui peut invoquer des facteurs extra-professionnels pour motiver un avis défavorable.

Ce qu’apporte la création des tableaux 30 ter et 47 ter

Ces nouveaux tableaux faciliteront la reconnaissance du cancer du larynx lié à l’amiante, reconnaissance qu’il était très difficile voire pratiquement impossible d’obtenir lorsque c’était une maladie « hors tableau » (des facteurs extra-professionnels tels que le tabac et l’alcool ayant un fort impact sur le cancer du larynx).

Ces deux tableaux devraient aussi faciliter la reconnaissance du cancer du larynx en lien avec d’autres facteurs professionnels : acides forts (dont acide sulfurique),  silice, poussières de textile, hydrocarbures polycycliques aromatiques…

La Cour de cassation a déjà statué sur ce type de situation. Elle estime qu’en l’absence de tableau correspondant à   sa situation exacte, une victime peut déclarer une maladie professionnelle en se référant à un tableau prévu pour les victimes d’autres polluants  qui ont la même pathologie que lui.

La Cour de cassation estime que la victime devra démontrer l’existence d’un lien direct entre ses expositions et sa maladie devant un CRRMP (démonstration moins difficile à faire que celle d’un lien direct et essentiel exigée en général pour les maladies « hors tableaux ».

Un regret sur l’hypopharynx

L’hypopharynx, partie supérieures des voies digestives, est attenant au larynx. Pour cette cible, l’amiante a été classé  comme cancérogène probable (groupe 2 A) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) .

On peut donc regretter que le cancer de l’hypopharynx en lien avec l’amiante, n’ait pas été en même temps pris en compte dans ce tableau

Quelle indemnisation ?

Une question va rester en suspens, c’est celle de l’indemnisation. Il n’y a rien de prévu pour ce type de cancer dans le barème des maladies professionnelles, sachant par ailleurs que le barème des accidents du travail ne fait mention de taux d’IPP que dans le cas extrême d’une trachéotomie avec ou sans canule, situation rencontrée suite au traitement chirurgical d’un cancer avancé.

Je suggère alors que l’on fasse référence par analogie au chapitre 3 du barème des maladies professionnelles, « Affections dermatologiques et cutanéo-muqueuses » et notamment au paragraphe 3.2, « Cancérisation » : « Tumeur cutanée maligne infiltrante avec extension » avec une fourchette de taux d’incapacité (IPP) de 40 à 70%.


 Le cancer de l’ovaire

L’ovaire

Les ovaires sont situés en bas de la cavité abdominale, dans la région du pelvis. Ils font partie de l’appareil reproducteur féminin avec la production des ovules et la sécrétion des hormones sexuelles féminines.  Ils sont rattachés à l’utérus par l’intermédiaire des trompes utérines (trompes de Fallope).

Le cancer de l’ovaire

Comme c’est pratiquement toujours le cas en cancérologie, il existe plusieurs types de cancers de l’ovaire (on parle de types histologiques). 

La majorité des cas de cancers de l’ovaire se développent à partir du revêtement externe de l’ovaire (85 à 90 %). Il s’agit de cancers épithéliaux.

Du fait de la situation anatomique des ovaires, le cancer peut se développer à bas bruit pour atteindre un volume important avant de provoquer des symptômes (douleurs abdominales, eau dans le ventre qui augmente de volume, troubles du transit digestif, troubles urinaires …).

Malgré le traitement (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), mais à cause du diagnostic souvent tardif, le cancer de l’ovaire n’a pas un bon pronostic avec un taux de survie à 5 ans de 43 %.

Le nombre de nouveaux cas par an de cancers de l’ovaire est d’ordre de plus de 5 000 avec un âge médian au diagnostic de 68 ans.

La désignation de la maladie

La désignation de la maladie dans le tableau déborde du cadre strict de l’ovaire en prenant en compte plusieurs localisations :

- au niveau du revêtement des trompes utérines (« localisation séreuse tubaire »)

- au niveau du péritoine adjacent (« localisation séreuse péritonéale »).

 Avant la parution du tableau, dans un cas récent, le FIVA a refusé de prendre en compte un cancer de la région ovarienne sous le motif que ce cancer gynécologique était de localisation imprécise.

Une telle situation ne devrait plus se produire avec les nouveaux tableaux qui prend explicitement en compte trois localisations (« ovarienne, séreuse tubaire et séreuse péritonéale »).

Pas de prise en compte des états précancéreux

Par contre l’ANSES avait préconisé de prendre en compte les états précancéreux (tumeurs borderline) mais cette proposition n’a pas été retenue.

L’indemnisation

Quant à l’indemnisation, je préconise de s’appuyer sur les cancers de même importance pour lesquels le barème des maladies professionnelles prévoit un taux d’IPP (cancer du poumon, leucémie, lymphome malin non hodgkinien) avec une fourchette de 67 à  100 %.


DIFFICILE, MAIS PAS IMPOSSIBLE

 

Avant la création des tableaux 30 ter et 47 ter, la reconnaissance d’un cancer de l’ovaire en maladie professionnelle était difficile.

Le dossier était examiné par un CRRMP (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles).

Il fallait démontrer l’existence d’un « lien direct et essentiel » entre l’exposition professionnelle et la pathologie.

C’était difficile, mais pas impossible.

En 2014, le Bulletin de l’Andeva citait un cas de cancer de l’ovaire reconnu, après avis favorable d’un CRRMP, par le tribunal des affaires de la Sécurité sociale (Tass) des Ardennes pour une salariée qui avait travaillé chez Deville à Charleville, une entreprise qui fabrique des systèmes de chauffage. Elle avait coupé des cordons d’amiante au cutter. Le médecin du travail lui avait délivré une attestation d’exposition à l’amiante et a rédigé un certificat médical initial.

En 2015, les ministres Sapin et Eckert ont reconnu l’imputabilité au service des cancers de l’ovaire et du larynx pour des agents de l’Insee, des Finances Publiques et du ministère des Affaires Etrangères ayant été exposés à l’amiante dans la tour du Tripode à Nantes entre 1972 et 1993.

L’intersyndicale qui avait arraché cette victoire avait alors déclaré : « Cette reconnaissance qui ne bénéficie qu’aux anciens du Tripode ouvre la voie à tous les salariés malades de l’amiante ». Le problème de la création de nouveaux tableaux était déjà posé.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°72 (janvier 2024)