En septembre 2023, L’Andeva a découvert que l’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 « effaçait » le bénéfice des arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 20 janvier dernier, lesquels réparaient, enfin, le déficit fonctionnel permanent (DFP) des victimes d’accident du travail et de maladie professionnelle, en cas de faute inexcusable de l’employeur.

Cette régression était le résultat d’une offensive patronale pour diminuer la facture des employeurs. L’Andeva a aussitôt sonné l’alerte, avec la Fnath (Association des accidentés de la vie) et l’Anadavi (Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels). Si la mesure a été abandonnée pour le moment, elle pourrait revenir en 2024. 
Restons vigilants.

L’article 39 du PLFSS 2024 se présentait comme la transcription législative d’un accord national interprofessionnel (ANI), signé le 15 mai par toutes les organisations patronales et syndicales sans exception.

Son but proclamé était de « moderniser » la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles et de renforcer la prévention des risques.

Un gros cadeau aux employeurs délinquants

En fait, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, il pénalisait les victimes dont il diminuait drastiquement l’indemnisation et faisait un cadeau aux employeurs délinquants, en allégeant leur contribution financière. 

L’exposé des motifs de  l’article 39 se fixait pour but d’annuler par la loi l’arrêt rendu le 20 janvier 2023 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation (voir ci-contre), au motif que cette jurisprudence risquait de « de conduire à une augmentation très importante du coût financier reposant sur les employeurs en cas de faute inexcusable »

Le 3 octobre, l’Andeva rappelait dans un communiqué que l’arrêt du 20 janvier était « une avancée jurisprudentielle et sociale. En l’annulant par la loi, le gouvernement fait un gros cadeau au patronat sur le dos des victimes et de la prévention, car les employeurs condamnés au titre de la faute inexcusable sont d’abord des délinquants qui se sont affranchis de leur obligation de sécurité et qui n’ont pas respecté les principes de prévention imposés par le Code du travail. »

Tout se passe comme si le patronat avait tenté de convaincre les organisations syndicales « d’échanger » un dépérissement programmé des actions en faute inexcusable de l’employeur contre la promesse d’améliorer l’indemnisation de base de toutes les victimes du travail, sans qu’elles aient à démontrer l’existence d’une faute de l’employeur. 

Ni précision, ni garanties

Le mouvement syndical aurait tout à perdre à s’engager dans cette voie. Accepter d’alléger la sanction financière des employeurs délinquants, serait tourner le dos à la prévention. Accepter que les actions en faute inexcusable soient vidées de leur substance serait priver les travailleurs d’un précieux outil pour faire valoir leurs droits.

Quant aux améliorations promises, force est de constater qu’on ne trouve nulle part de précision ni de garantie. Le flou est la règle. Les questions qui fâchent sont laissées en suspens, à la discrétion
des  « partenaires sociaux » pour des négociations futures. Et l’on a toutes les raisons de craindre que ces « améliorations » soient réalisées à coût constant , ce qui équivaudrait à déshabiller Pierre pour habiller Paul...

L’article 39 a disparu, mais la partie n’est pas gagnée

Finalement, au terme d’une bataille serrée, en plusieurs épisodes (voir encadré), avec le concours des rapporteurs du PLFSS pour la branche AT-MP à l’Assemblée nationale et au Sénat, l’article 39 sera retiré à la demande du ministre du travail, Olivier Dussopt. Nous sommes passés tout près d’une catastrophe. C’est une première victoire, mais la partie n’est pas gagnée pour autant.   La question pourrait revenir dans le calendrier législatif de 2024, dans une loi spéficique de transposition de l’ANI. Restons vigilants et mobilisés.

Améliorer vraiment la réparation des AT-MP

Pour sa part, l’Andeva demande aux pouvoirs publics et au Parlement une réflexion d’ensemble pour améliorer le système de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Et cette réflexion ne saurait se faire sans la participation des associations de victimes.

Le système actuel est dysfonctionnel et injuste : les AT-MP sont massivement sous-déclarés et sous-indemnisés. À incapacité égale, une victime du travail est moins bien indemnisée qu’une victime de la route.

L’Andeva propose des mesures immédiates pour améliorer dès maintenant la réparation des AT-MP, à commencer par l’égalisation du taux de rente et du taux d’incapacité (IPP) : aujourd’hui avec un taux d’IPP de 40%, un salarié n’aura qu’un taux de rente dérisoire de 20%...  Rien ne justifie cette injustice majeure.

 Alain BOBBIO
François DESRIAUX

Jacques FAUGERON


L’arrêt du 20 janvier 2023

Le 20 janvier 2023, après 15 années de batailles judiciaires sur la nature de la rente accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a  rendu un arrêt favorable aux victimes du travail : elle a jugé qu’en cas de faute inexcusable reconnue, le Déficit fonctionnel permanent (DFP), c’est-à-dire les souffrances physiques et morales endurées par la victime après la consolidation, n’était pas couvert par la rente AT-MP et serait pris en charge en intégralité par l’employeur fautif. Les associations de victimes ont salué cet arrêt. La CGPME et le MEDEF en ont fait une critique virulente.

Dès le lendemain de cet arrêt, cette nouvelle jurisprudence s’est traduite par une augmentation du niveau des indemnisations versées par les employeurs fautifs aux victimes au titre de la faute inexcusable.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°72 (janvier 2024)