Après 36 audiences consacrées aux débats devant la Cour d’assises de Novarre de juin 2021 à janvier 2023, le procès contre Stephan Schmidheiny, ex-PDG et propriétaire de l’usine Eternit de Casale Monferrato, est entré dans sa phase finale.
Après les réquisitoires du Ministère public suivront les plaidoiries des avocats des parties civiles en février et celles de la défense en mars.
Le milliardaire suisse est responsable de la mort de 392 Casalais emportés par un mésothéliome après avoir respiré les fibres d’amiante émises par son usine. Poursuivi pour homicide par imprudence, il n’a daigné assister à aucune audience.
Novare, 30 janvier 2023. Le procureur Gianfranco Colace, prend la parole pour le ministère public.
Un verdict pour l’Histoire
Il s’adresse avec solennité aux juges professionnels et aux jurés populaires de la Cour d’assises : « Casale Monferrato est une ville-martyre de l’amiante ; dans ce procès 392 familles pleurent leurs morts. Le verdict que vous rendrez écrira une page d’Histoire pour les ouvriers et habitants de Casale et pour ceux du monde entier. »
« Ce n’est pas l’amiante, c’est l’Homme qui est la cause de cette hécatombe. C’est une politique industrielle qu’on peut qualifier de colonialiste. Nous avons ici les preuves que Stephan Schmidheiny est responsable de ces morts et nous allons vous expliquer pourquoi.
Dans notre réquisitoire, nous examinerons dans quelles conditions l’amiante a été utilisé et traité à Casale. Nous démontrerons que les décès de 392 personnes sont bien tous dus à un mésothéliome. et qu’il y a bien un lien causal entre cette maladie et l’exposition à l’amiante durant la décennie 1976-1986 (lorsque Stephan Schmidheiny a eu la responsabilité effective d’Eternit). Puis nous évaluerons l’attitude de l’accusé : a-t-il agi en pleine conscience de ce qui allait arriver ou a-t-il simplement fait preuve d’imprudence ?
Les réquisitoires du Ministère public vont durer quatre heures.
Casale, ville martyre de l’amiante
Sur les 392 victimes du procès « Eternit-bis », 63 étaient d’anciens ouvriers d’Eternit qui ont travaillé dans des conditions catastrophiques, confirmées par des centaines de témoignages, de notes internes de tracts syndicaux, et d’injonctions de l’inspection du travail.
Les 329 autres étaient des habitants de la ville sur laquelle l’usine, située à quelques pas du centre historique, a déversé ses fibres mortelles.
Cette proportion de victimes environnementales (84%) est énorme. Elle est le résultat d’une politique industrielle consciente des dégats humains qu’elle pouvait provoquer.
En 1979, l’usine de Casale produisait 640 tonnes de produits en fibrociment, utilisant 83 tonnes d’amiante en vrac par jour.
Des sacs d’amiante par trains entiers
Chaque jour, arrivaient à la gare, des trains chargés de sacs de poussière d’amiante. Ils étaient transportés dans des camions non bâchés qui traversaient la ville, empruntant les rues où allaient et venaient des habitants.
Chaque jour, des rebuts industriels d’Italie étaient broyés à l’air libre, au bulldozer, pour être réintroduits dans le cycle productif.
Eternit distribuait aussi des rebuts de production à la population qui les utilisait pour paver des allées de jardin ou isoler des combles.
Les ouvriers ramenaient à la maison leurs bleus de travail poussiéreux qui contaminaient la famille.
La dispersion des fibres s’est poursuivie longtemps après la fermeture de l’usine en 1986.
Une désinformation systématique
Les dangers de l’amiante étaient connus de longue date. Le procureur Colace rappelle qu’en 1964, le Pr Irving Selikoff, lors du Symposium international de l’Académie des sciences de New York, avait tiré la sonnette d’alarme en mettant clairement en évidence le lien de causalité entre l’amiante et le mésothéliome.
Schmidheiny ne pouvait l’ignorer. il a préféré engager un travail de désinformation systématique pour tranquiliser les ouvriers d’Eternit et endormir l’opinion publique.
Il s’agit bien de 392 mésothéliomes
« Dans ce procès il y a 392 victimes. Elles ne représentent qu’une petite partie des Casalais tués par l’amiante, souligne la procureure Mariagiovanna Compare.
«On estime qu’il y a eu au minimum 3 000 décès liés à l’amiante à Casale et ses environs.
Il y a encore aujourd’hui une cinquantaine de nouveaux cas par an.
Les victimes, hommes et femmes s’en vont, de plus en plus jeunes, les uns après les autres...»
Et pourtant, « les experts cités par la défense n’ont pas hésitè à remettre en cause le diagnostic. Selon eux, sans recours aux marqueurs immunohistochimiques les plus récents, on ne peut pas être sûr qu’il s’agit d’un mésothéliome et non de métastases d’autres tumeurs primitives ».
« Il est faux de dire que le diagnostic ne peut se faire sans immunohistochimie et que les diagnostics les plus anciens sont à jeter ».
« En tout état de cause, précise la procureure Compare, il s’agit toujours d’un diagnostic multidisciplinaire. »
Les avocats de la défense ont osé insinuer qu’à Casale les médecins auraient pu « exagérer les diagnostics », sans rechercher si les mésothéliomes étaient ou non des tumeurs primaires. Cette accusation insultante ne tient pas.
La procureure Compare, rappelle que « le cumul des expositions augmente le risque de tomber malade et rapproche l’issue fatale de la maladie ».
Et elle conclut : « Il s’agit bien de 392 mésothéliomes. Rien ne permet d’en douter ».
L’acte d’accusation des procureurs se poursuivra vendredi 10 février.
Article publié dans le Bulletin de l’Andeva n°70 (février 2023)