Où en est le suivi post-professionnel des ex-salariés exposés à l’amiante et à d’autres produits « CMR » ?

 

Le SPP est un droit

Tous les retraités, chômeurs et inactifs qui ont été exposés à l’amiante peuvent bénéficier d’un suivi médical gratuit, pris en charge par la branche accidents du travail / maladies professionnelles.

Il y a en France plus de 16 millions de retraités ; un homme retraité sur quatre a été exposé à l’amiante au cours de sa vie professionnelle. Les demandes de suivi médical devraient être nombreuses. En fait leur nombre est très faible et la tendance est à la baisse.

Un nombre dérisoire de demandes

Pour l’année 2018, la Cnam n’a recensé que 827 actes de suivi post-professionnel amiante  dont une centaine pris en charge réellement par la branche ATMP, comme le prévoit le dispositif réglementaire.

Pour prendre la mesure du problème, rappelons qu’en Allemagne 243 655 personnes ayant été exposées à l’amiante bénéficient d’un suivi comportant un examen clinique, une spirométrie et un scanner à faible dose et haute résolution à une fréquence de 1 à 3 ans.

Une régression spectaculaire

Dans la Seine-Saint-Denis, un département industrialisé où vivent un million et demi d’habitants avec une forte proportion d’ouvriers et employés, le nombre de demandes de suivi médical a chuté de 217 en 2007 à 23 en 2014 et 1 seule demande de remboursement au titre du dispositif en 2018 !

Le nombre des demandes de  SPP en Ile-de-France, est passé de 651 en 2008 à 274 en 2014.

L’effondrement du SPP est une cause majeure de la sous-déclaration des cancers professionnels.

Pourquoi cette situation ?

- des retraités ne sont pas informés sur leurs droits.

- des employeurs rechignent à reconnaître l’exposition et à financer les examens de suivi médical des actifs.

- des médecins ignorent l’existence du dispositif.

- des agents des CPAM ne sont pas formés sur le SPP.

- Il n’y a pas d’information spécifique des chômeurs par le pôle emploi,

- Il n’y a pas d’organisation locale du suivi.

- Il n’y a pas de volonté politique des pouvoirs publics

Difficile de fidéliser les participants

La réglementation n’impose pas à la CPAM de reconvoquer une personne engagée dans un suivi. Quand l’échéance arrive – 5 ans ou 10 ans après – c’est lui qui doit demander de nouveaux examens. Et renouveler la prise en charge peut prendre des mois.

 


Que va changer l’arrêté du 16 décembre 2022 ?

 

L’arrêté du 16 décembre 2022 abroge l’arrêté du 28 février 1995 qui fixait  :

- le modèle de l’attestation d’exposition à un produit ou procédé cancérogène à remplir et signer par l’employeur et le médecin du travail pour être remise au salarié (attestation à envoyer à la CPAM pour demander un SPP),

- une liste de cancérogènes avec pour chacun d’eux les modalités de la surveillance médicale définies par voie réglementaire. Par exemple pour l’amiante : « une consultation médicale et un examen tomodensitométrique (TDM) thoracique réalisés tous les cinq ans pour les personnes relevant de la catégorie des expositions fortes et dix ans pour celles relevant de la catégorie des expositions intermédiaires dans les conditions prévues par le protocole de suivi validé par la Haute Autorité de santé ».

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L’arrêté du 16 décembre 2022 instaure une visite médicale de fin de carrière : le médecin du travail, informé par l’employeur du départ d’un salarié, le reçoit et lui délivre un état des lieux des expositions professionnelles durant sa vie professionnelle. Ce document peut être transmis au médecin traitant.

Cet état des lieux ne se limite pas aux agents cancérogènes. Il concerne tous les agents CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), ainsi que tous les risques physiques, chimiques, et de rythme énumérés dans l’article L4161-1 du Code du Travail, notamment la manutention manuelle de charges lourdes, les vibrations mécaniques, le bruit, le travail de nuit, les gestes

répétitifs...

Et tous ces risques doivent être pris en compte sur l’ensemble de la carrière professionnelle.

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Le protocole de suivi médical n’est plus défini par la réglementation. Il est défini par le médecin conseil de la CPAM, en tenant compte des référentiels nationaux.

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L’accès au SPP est ouvert par l’envoi à la CPAM :

- de l’état des lieux,

- ou d’une attestation d’exposition,

- ou de documents issus du dossier médical du travail.


 Quels problèmes pour sa mise en oeuvre ?

 

La visite médicale de fin de carrière était une des recommandations élaborées en 2010 par la commission d’audition sous l’égide de la HAS. C’était une revendication de l’Andeva. Sa mise en place est une avancée.

La traçabilité des expositions professionnelles est au coeur du métier du médecin du travail et devrait trouver place dans la fiche d’entreprise et le dossier médical du travail.

La reconstitution des expositions durant toute la carrière professionnelle nécessiterait des outils techniques (formations avec supports écrits, bases de données) et surtout des effectifs en nombre suffisant.

C’est là que le bât blesse :
en 2015, il y avait 5131 médecins du travail et collaborateurs, soit 4000 équivalents temps plein. En 2021, on est tombé à 4275, soit 3561 équivalents temps plein. Il y a en moyenne un médecin du travail pour 7000 salariés ! Les médecins du travail à qui on demande de faire toujours plus avec toujours moins de moyens, ont le sentiment de subir une injonction paradoxale. Des difficultés sont donc prévisibles.

Ils seront soumis à des pressions des employeurs et aussi de l’Ordre des médecins qui considère qu’ils ne doivent attester que des expositions dont ils ont été les témoins directs.

La rédaction de l’état des lieux incombe au seul médecin du travail.

S’agissant d’un document ouvrant droit à un suivi médical, il nous semble logique que l’employeur n’y mette pas son nez.

Mais cela ne doit pas dispenser l’employeur de respecter ses propres obligations en matière d’évaluation des risques et de traçabilité des expositions professionnelles.

Le législateur a allégé les contraintes qui pesaient sur lui dans ce domaine.  Mais la réglementation lui impose encore de documenter les expositions et les risques, notamment par le dossier unique d’évaluation des risques (DUER) et les notices de postes. La délivrance d’attestations d’exposition à des cancérogènes reste obligatoire pour la période 2004-2012.

Ces obligations de l’employeur doivent  être remplies en  amont de l’activité du médecin du travail.


Article publié dans le Bulletin de l’Andeva n°70 (février 2023)