La confirmation des non-lieux par la Cour d’appel de Paris a été reçue comme une insulte à la mémoire des disparus par toutes les familles que l’amiante d’Eternit a endeuillées. Comment peuvent-elles croire qu’il existe encore une justice dans ce pays ?

 Nicole, Nathalie et Jean-François (Caper Bourgogne)

« Il faut continuer, pour la mémoire de nos défunts »

 

« J’ai perdu mon mari il y aura bientôt un an, dit Nicole, une veuve de l’amiante, adhérente du Caper Bourgogne. Nous allions fêter nos 50 ans de mariage. Il me manque énormément. Il m’avait dit  : «  Je sais très bien de quoi je vais mourir, C’est l’amiante qui m’emportera ». Eternit les a fait travailler sans protection; et maintenant ils meurent, les uns après les autres. Je veux que les responsables soient condamnés ».

« Il y avait deux machines côte à côte, avec deux
personnes par machine,
se souvient Jean-François, le président du Caper. Nous étions quatre. Je suis le dernier encore en vie. »

« Mon père est mort de l’amiante très jeune, à 47 ans, en laissant son épouse et 3 enfants dont un de 14 ans, explique Nathalie. Sa maladie l’a emporté en quelques semaines, avec des douleurs insupportables. Malheureusement, à cette époque, il n’y avait pas encore d’association de victimes de l’amiante.

Je n’accepte pas l’impunité pour des responsables qui ont tué des milliers de gens et qui s’en sont mis plein les poches.  ll faut qu’ils soient jugés. Ils ont exposé des ouvriers à des produits toxiques, sans les informer ni les protéger, en pleine conscience du danger.

J’ai été interrogée pendant plus d’une heure par les gendarmes, au début des années 2000. Il y a eu une centaine d’auditions à l’époque. On ne peut pas laisser tomber maintenant.

Il faut continuer, pour les victimes de l’amiante d’Eternit, pour les familles qui ont perdu un proche, pour toutes celles et ceux qui doivent vivre avec l’épée de Damoclès d’une maladie grave au-dessus de la tête.

Quand j’étais enfant, mon père ramenait ses bleus poussiéreux à laver à la maison. Je me souviens des sacs d’amiante en toile de jute  qui, une fois vides, servaient à la livraison de pommes de terre au personnel. Il faut continuer, pour la mémoire de nos défunts. »

« Si ces crimes restent impunis, dit Jean-François, cela revient à dire à tous les industriels qu’ils peuvent tuer sans être condamnés.»

 

JEAN-MARIE BIRBES (Addeva 81)

« Si l’on tue une personne, on est condamné. Si l’on en tue des milliers, on reçoit l’absolution et une médaille »

Jean-Marie Birbes, président de l’Addeva 81 qui regroupe les victimes de l’usine Eternit de Terssac, près d’Albi pense à tous les collègues disparus : « Les travailleurs des industries meurtrières comme celles qui utilisèrent l’amiante pour sa qualité technique, très lucrative par ailleurs, qu’en reste-t-il ?

Les usines ont pratiquement disparu ou se
sont transformées, quel-ques stèles posées devant certains sites, à l’initiative des associations représentant les victimes sont visibles et rappellent brièvement leurs vies.

Sinon rien, pas de liste, pas de mémoire, pas de lieu dédié, la mémoire cachée bien au chaud dans le cœur des familles, des enfants, des épouses.

Pas de soutien des grands de ce monde : que ce soit artistes où personnalités connues.

Pour le SIDA, les maladies graves, on a fait des actions, des émissions télé ; pour les morts du travail, les centaines de milliers de personnes mortes à cause de l’amiante, « circulez il n’y rien à voir ! ».

Serait-ce comme pour ceux qui sont morts dans les conflits armés, une chose normale pour la société ? Si l’on tue une personne on est condamné, si l’on en tue des milliers, on reçoit l’absolution et des médailles... »


Article publié dans le Bulletin de l’Andeva n°70 (février 2023)