« La Cour de cassation élargit le périmètre d’indemnisation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en cas de faute inexcusable de l’employeur. Les victimes, comme leurs ayants droit seront mieux indemnisées, notamment celles qui ont été exposées à l’amiante. » 

Telles sont les premières lignes du communiqué de presse officiel de la Cour de cassation annonçant un important revirement de jurisprudence. Ces arrêts ont été rendus le 20 janvier 2023 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, formation de jugement la plus solennelle au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées. Ils corrigent une jurisprudence antérieure incohérente et injuste de la 2ème chambre civile de la Cour, en vigueur depuis une décennie.

Maître Romain BOUVET, qui défend les victimes pour le cabinet Ledoux en fait ici une première analyse.

Quelle était la jurisprudence  antérieure de la Cour de cassation ? Et qu’est-ce qui change ?

Le Code de la Sécurité sociale prévoit le versement d’une rente majorée aux victimes d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail,  si la faute inexcusable de l’employeur est reconnue.

Depuis 2013, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation considérait que cette rente avait une nature « hybride »  car elle indemnisait simultanément trois postes de préjudices : la perte de capacité de gain, l’incidence professionnelle et le déficit fonctionnel permanent, c’est-à-dire le handicap dont vont souffrir les victimes dans leur vie quotidienne, en particulier leurs souffrances physiques et morales, après la « consolidation ».

Pour obtenir la réparation de ces souffrances sur un poste de préjudice distinct, la Haute Cour exigeait que les victimes apportent la preuve que ces préjudices n’étaient pas déjà indemnisés par la rente au titre du déficit fonctionnel permanent. Cette preuve était difficile à apporter et beaucoup de victimes se retrouvaient privées d’une partie importante de l’indemnisation à laquelle elles auraient dû avoir droit.

Depuis dix ans, notre cabinet critique les incohérences de cette jurisprudence très défavorable aux victimes qui s’est traduite par une baisse du niveau des indemnisations accordées par les juridictions.

Des magistrats l’avaient, eux aussi, critiquée.

Oui, les cours d’appel de Metz, Nancy, Douai, Rennes, Amiens sont même entrées en résistance, en refusant de l’appliquer.

La doctrine était, elle aussi, très critique à l’égard de cette jurisprudence. Des juristes ont rappelé que la rente Sécurité sociale était fonction  non seulement du taux d’incapacité mais aussi du salaire. Considérer les souffrances physiques et morales comme « déjà payées par la rente », c’est accepter que les souffrances d’un cadre soient deux fois mieux indemnisées que celles d’un O.S. !

Concrètement qu’est-ce qui va changer ?

La Cour de cassation considère désormais que les  souffrances physiques et morales  endurées par le malade après la « consolidation » (= le déficit séquellaire permanent)1 sont des préjudices personnels  non couverts par la rente et doivent faire l’objet d’une indemnisation distincte.

C’est une avancée très importante pour les victimes du travail. La Haute Cour elle-même le souligne : « les victimes, comme leurs ayants droit, seront mieux indemnisées, notamment celles qui ont été exposées à l’amiante ».

Qui pourra bénéficier de ce revirement ?

Toutes les victimes d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail qui engageront une action en faute inexcusable de l’employeur ainsi que leurs ayants droit.

Des procédures antérieures aux arrêts du 20 janvier 2023 sont-elles concernées ?

Oui, mais seulement si aucune décision définitive n’a encore été rendue. Il est donc recommandé aux associations de faire les vérifications nécessaires.

Les fonctionnaires sont-ils concernés ?

Non, car le Conseil d’Etat avait, depuis dix ans, une jurisprudence différente : pour lui, la rente ne répare pas les préjudices personnels. Les souffrances physiques et morales font l’objet d’une indemnisation distincte.

Ce changement aura-t-il des conséquences sur les indemnisations versées par le Fiva ?

Oui, pour  les  salariés  du privé concernés, le mode de calcul  de l’indemnisation du préjudice fonctionnel (dénommé incapacité fonctionnelle ou déficit fonctionnel permanent) sera plus favorable aux victimes et aux ayants droit.

Le Fiva va nécessairement caler sa méthode de calcul de ce poste de préjudice pour le secteur privé sur celui des fonctionnaires et ne plus déduire de sa proposition d’indemnisation la rente maladie professionnelle versée par la CPAM.

Dans l’attente de la régularisation de cette situation, il est recommandé aux associations d’inciter les victimes à contester les offres du FIVA portant sur le préjudice d’incapacité, afin de bénéficier de cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation et d’écarter la rente maladie professionnelle du calcul.


Article publié dans le Bulletin de l’Andeva n°70 (février 2023)