Une enquête d’Anne Marchand sur les cancers professionnels
« Aujourd’hui, en toute légalité et dans l’exercice habituel de leur travail, au moins 11% des salariés sont exposés à des substances cancérogène...»
« être exposé à ces toxiques c’est faire face au danger d’être atteint d’un cancer des décennies plus tard, et ce quel que soit le niveau d’exposition...»
« Cette maladie, en constante augmentation depuis le début du 20ème siècle, est devenue la première cause de mortalité en France avec près de 158 000 décès.»
Pourtant, chaque année, moins de 1800 cancers font l’objet d’une déclaration en maladie professionnelle. Un chiffre dérisoire qui dément le discours officiel sur les « fraudeurs » et les « profiteurs » du système...
Pourquoi cette invisibilité sociale des cancers professionnels ? Pourquoi ce « non-recours aux droits » pour des maladies souvent mortelles ? Quels sont les mille et un obstacles qui transforment la reconnaissance de ces pathologies multifactorielles à long temps de latence en parcours du combattant ?
Pour répondre à ces questions, le livre d’Anne Marchand se nourrit d’une expérience singulière : « Entre 2010 et 2017, dans le cadre du Giscop 931, j’ai accompagné près de 200 salariés, retraités et proches » dans leurs démarches pour « faire reconnaître la responsabilité du travail dans leur état de santé ».
Au travers de cette enquête-action, menée au bénéfice des victimes et de leurs ayants droit, elle donne chair à une analyse critique du système de réparation des maladies professionnelles, et des difficultés particulières pour obtenir la reconnaissance d’un cancer.
Anne Marchand explique que la démarche du Giscop 93 « repose sur la participation de malades atteints de cancer, majoritairement broncho-pulmonaire. Un partenariat est construit avec des services hospitaliers du département à qui il est demandé de signaler au Giscop 93 toutes les personnes nouvellement diagnostiquées d’un cancer dans leur service et domiciliées en Seine-Saint-Denis ».
La reconstitution du parcours professionnel s’élabore à partir de la mémoire du salarié, en interaction avec une personne formée à la sociologie du travail. L’exposition à des cancérogènes est évaluée par un collectif d’experts. Une aide est apportée à la déclaration en maladie professionnelle.
L’auteure a rejoint le Giscop en 2009. Elle cherchait alors à élucider les ressorts du non-recours aux droits. En accompagnant les victimes et leurs proches dans leurs démarches, elle a pu analyser les difficultés rencontrées et les évoquer lors d’échanges réguliers avec la CPAM 93.
Avec l’association Henri Pézerat, Anne Marchand élargit son champ d’analyse et d’action en nouant des contacts avec des dockers de Saint-Nazaire, d’anciens verriers de Givors ou d’anciens mineurs CFDT de Merlebach. A travers ces rencontres elle approfondit son analyse des obstacles : manque d’information, difficulté à construire une conscience du risque pour des produits à effets différés, minimisation délibérée du danger par l’employeur, mais aussi difficulté à se penser soi-même comme victime de préjudices évitables et indemnisables pour faire valoir des droits légitimes.
Quand la vérité éclate, la prise de conscience est douloureuse avec la violence du sentiment d’avoir été trompé : « Pour le profit, ils nous ont fait travailler l’amiante dans les pires conditions, dit une ouvrière d’Amisol à Clermont-Ferrand. Et pour nous l’amiante, c’est la mort. Ils savaient que la poussière ronge les poumons, le patron le savait [...] Les pouvoirs publics le savaient. Ils nous ont rien dit. Maintenant, nous comptons nos morts ».
1) Giscop 93 : Groupement d’intérêt scientifique « Surveiller les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis ».
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°69 (octobre 2022)