Le 9 septembre, la chambre sociale de la Cour d’appel de Douai a examiné les dossiers de 727 mineurs lorrains qui demandent la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété pour avoir été exposés dans leur travail à de nombreux cancérogènes, par la faute des Houillères, leur employeur. La décision sera rendue le 29 janvier 2021. L’enjeu est important.
Arrivés à Lewarde, près de Douai après un long voyage en car, les mineurs visitent le musée de la Mine.
Interviewé par TV8, Djilali Kenducci explique : « Des gens ont été exposés ; l’employeur n’a pas fait son travail de protection des salariés. On ne peut pas ne pas reconnaître cette anxiété qui a entraîné des catastrophes dans les familles. Des gens ont un cancer ; ils vivent avec des bouteilles d’oxygène. Toutes les pharmacies de notre région en ont...Il faut avoir beaucoup d’empathie pour aider les veuves...»
Puis, à Douai, ils défilent pour demander justice pour les mineurs. A quelques mètres du Palais de Justice, le cortège fait une halte. François Dosso, intervient : « Parmi le groupe de départ nous avons déjà perdu cinquante camarades. En souvenir de ces camarades et de tous ceux qui sont morts de la mine, je vous demande d’observer une minute de silence. »
En raison de la pandémie de Covid, tous les mineurs ne peuvent assister à l’audience. Le nombre de places est limité. La priorité est donnée aux journalistes.
Un dossier de presse impressionnant de 24 pages a été réalisé par le syndicat. Il dresse une liste des cancérogènes utilisés dans la mine. Les situations de travail exposant à l’amiante ou aux HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) sont détaillées.
L’existence d’un sur-risque de cancer chez les mineurs est démontrée, pathologie par pathologie, par comparaison à la population de la même tranche d’âge.
Les dernières pages du dossier de presse réunissent des témoignages des proches.
Une épouse raconte comment son mari, père de famille et bon vivant, a perdu sa joie de vivre, rongé par l’inquiétude, en voyant les maladies et les décès de ses collègues. Il a été rattrapé à son tour par une leucémie et par un cancer du poumon multi-métastasé...
« Au fond, nous étions exposés 8 heures par jour à de véritables cocktails chimiques. Il n’y avait pas de lavabos, pas d’eau, pas de chauffe-gamelle, pas de WC. On cassait la croûte avec un sandwich, sans se laver les mains. Les produits pénétraient dans notre organisme par toutes les voies possibles : par inhalation, par ingestion et par voie cutanée. Les Houillères ne fournissaient pas de vêtements de travail. La société a toujours refusé de laver les bleus. Quand nous les ramenions à la maison, ils étaient dans un tel état qu’il fallait les faire bouillir », expliquait François Dosso dans une interview parue en juin 2019 dans le Bulletin de l’Andeva.
Exposés à de multiples produits dangereux
Le syndicat CFDT a dressé une liste impressionnante de produits dangereux auxquels ont été exposés les mineurs : amiante, silice, résines phénoliques, toluène, trichloréthylène, PCB (dans les huiles hydrauliques), résines à base de formaldéhyde, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), gaz d’échappement des engins diésels...
Les conclusions de Cedric de Romanet pour le cabinet TTLA font une présentation détaillée, poste par poste, des conditions dans lesquelles les mineurs ont été exposés à ces produits.
La liste des réglementations non respectées est longue. La démonstration est implacable. Elle s’appuie sur plusieurs milliers d’attestations.
L’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité.
Une explosion de maladies professionnelles
Ils étaient 745 anciens mineurs en juin 2013, quand ils ont engagé le combat pour la reconnaissance de leur préjudice d’anxiété.
Sept ans plus tard, au premier août 2020, 313 maladies professionnelles ont été reconnues dans cette cohorte de mineurs lorrains des HBL multi-exposés.
Cinquante d’entre eux ont perdu la vie à cause de ces conditions de travail destructrices
Un sur-risque énorme de cancers professionnels
Le dossier de presse présente un tableau de l’incidence des cancers professionnels dans cette cohorte de mineurs multi-exposés :
- Ils ont 70 fois plus de risque d’avoir un cancer professionnel que les
salariés du régime général appartenant à la même tranche d’âge (55-75 ans).
- 80 fois plus de risque de contracter une leucémie,
- 100 fois plus de risque d’avoir un cancer de la peau, de la vessie ou du rein.
« Si on m’avait dit que j’allais être exposé...»
Interviewé sur TV8, Albert Nouri, ancien mineur à Merlebach, déclare : « On dit souvent que le mineur a redressé la France. Je pose la question : qui va redresser le mineur ? Si au début de ma carrière, on m’avait dit que j’allais être exposé à des produits cancérogènes, j’aurais peut-être refusé de signer mon embauche. »
Les enjeux d’une lutte exemplaire
Le combat des mineurs de Lorraine multi-exposés dure depuis sept ans.
Les prud’hommes de Forbach leur avaient donné raison. La Cour d’appel de Metz les a déboutés. La Cour de cassation a enfin reconnu leur préjudice. d’anxiété l’an dernier.
« Pour défendre les salariés, il fallait gagner de nouveaux droits, dit François Dosso, de la CFDT mineurs. Beaucoup pensaient que c’était impossible, que nous partions perdants. Certains ont même dit que nous étions malhonnêtes. Et pourtant nous avons obtenu cet arrêt de la Cour de cassation. »
L’affaire a été renvoyée à la cour d’appel de Douai le 9 septembre.
L’agent judiciaire de l’État, qui venait aux droits de Charbonnages de France, a tenté sans conviction de démontrer que l’entreprise avait toujours respecté son obligation de sécurité.
En fait son but était d’indemniser le moins de mineurs possible et de payer le moins possible à chacun d’eux.
La Cour rendra ses décisions le 29 janvier 2021. « Nous espérons que la victoire des mineurs après l’audience d’aujourd’hui permettra à tous les salariés exposés à des produits dangereux de faire pression sur leur employeur pour améliorer la prévention », dit François Dosso.
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°64 (novembre 2020)