La Martinique a été durement frappée par un cyclone qui a ravagé l’île, endommageant les maisons, détruisant les bananeraies, coupant les moyens de communication…
Un mois avant cette catastrophe naturelle, se créait une
nouvelle association à Fort-de-France. Nous avons interviewé Michel Désir, président de l’AMDEVA, l’Association martiniquaise de défense des victimes de l’amiante, lors de son passage à Paris au début du mois d’août.


- Comment est venue l’idée de créer une association reliée à
l’Andeva ?

L’impulsion est venue d’ouvriers des chantiers navals. Ils voulaient élargir l’action à d’autres secteurs professionnels. J’avais déclaré une maladie professionnelle. Ils m’ont contacté. D’autres personnes nous ont rejoints. Certaines avaient déclaré seules une maladie professionnelle, d’autres avaient trouvé une aide au siège de l’Andeva à Vincennes ou auprès d’une association locale.
Pour préparer le lancement de l’association, nous avons tenu des réunions pendant six mois. C’était un moyen de nous connaître et de construire des rapports de confiance. Nous voulions mettre en place une organisation capable de tenir le coup sur la durée. Une association de défense des victimes doit offrir des garanties de sérieux aussi bien dans la gestion des dossiers que dans la trésorerie. C’est pourquoi nous avons préparé collectivement sa naissance. Une session de formation a été organisée à Fort-de-France avec Hélène Boulot et Alain Bobbio, dans une salle de l’ARACT, l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Un climat amical et studieux, avec une équipe motivée pour aider les victimes et faire reculer les injustices.
Puis nous avons tenu l’Assemblée générale constitutive de l’association dans la salle de la Mutualité de Fort-de-France. Nous avons adopté des statuts et élu un conseil d’administration.

Quel a été l’impact de cette création ?

Cette assemblée avait été annoncée par la presse. Elle a eu un grand écho médiatique : RFO (Radio France Outremer), ATV (Antilles télévision), Radio Caraïbes ont rendu compte de l’événement. J’ai participé à une émission d’une heure en créole sur radio APAL (« Asé Pléré An Nou Lité » : « assez pleuré, luttons ! »). Il y a eu des articles dans France-Antilles et dans Justice, le journal du parti communiste martiniquais.
Cet écho médiatique a eu aussitôt des retombées : nous avons reçu beaucoup d’appels : des gens qui étaient seuls face à leur maladie ont pris contact avec nous. L’Association a ainsi gagné très vite une certaine crédibilité.

Quels problèmes rencontrez-vous ?

La création d’une association de victimes en Martinique répond à un besoin, mais elle se heurte aussi à des difficultés particulières.
La principale est la méconnaissance complète du problème : ici, on n’y pense pas ; on n’en parle pas. ; cela n’arrive qu’aux autres… Il y a donc un besoin important d’information pour la population concernée mais aussi pour les médecins, à qui nous devons expliquer que l’examen de référence pour les maladies de l’amiante c’est le scanner et non la radiographie.
Les personnes contaminées en métropole et résidant en Martinique se heurtent à mille difficultés : Les caisses d’assurance maladie se renvoient la balle. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé.

Peux-tu en dire quelques mots ?

J’ai un mésothéliome. J’ai été exposé à l’amiante à la Poste, à Paris et en Martinique. Le Fiva a mis trois mois pour m’indemniser des préjudices extrapatrimoniaux (souffrance physique et morale, perte de qualité de vie). J’ai déposé mon dossier à la sécurité sociale en septembre 2005. J’attends toujours… Pendant deux ans, malgré mes relances, je n’ai eu aucune nouvelle. Il a fallu que je prenne maître Ledoux comme avocat pour avoir une réponse en juin 2007. Ce n’est même pas un refus. C’est un Ni Oui – Ni Non. Résultat : le versement du complément de rente par le Fiva est bloqué… Être atteint d’une maladie grave, et avoir le sentiment de ne pas être pris au sérieux, c’est dur ! Ils ont une attitude vexatoire. Je sais qu’on ne me rendra pas ma santé, mais j’estime que les victimes ont droit au respect, à l’indemnisation de leurs préjudices.

Quelles sont vos perspectives ?

L’association contribuera à mettre au grand jour des maladies bien réelles mais invisibles. Un de nos adhérents a engagé une action en faute inexcusable contre EDF. A notre assemblée générale, nous avons décidé de faire une action devant le tribunal,le 24 septembre, jour de son procès. C’est la première action en faute inexcusable sur l’amiante engagée par un salarié contaminé en Martinique.
Notre association souhaite avoir des rapports de partenariat avec la CGAM, la caisse générale d’assurance maladie martiniquaise. Nous ne souhaitons pas nous opposer, mais travailler ensemble pour faire avancer les dossiers des victimes. Nous avons demandé une entrevue au directeur de la caisse. Nous souhaitons que les dossiers des victimes de l’amiante soient toujours traités par les mêmes personnes car il y a un déficit d’information.
Nous nous sommes adressés au Conseil général, à la mairie de Fort-de-France pour avoir un local et des subventions, ainsi qu’à l’Union des Mutuelles de Martinique.
Avoir un local, c’est important. Il faut un lieu où les victimes soient accueillies, écoutées et aidées, dans le strict respect de la confidentialité. Étant moi-même victime de l’amiante, je sais combien les souffrances de la maladie peuvent être pesantes et combien il est important de pouvoir trouver une écoute, un réconfort, lorsqu’on en a besoin.

Vous souhaitez élargir votre action à d’autres produits...

Oui, nous avons décidé de ne pas limiter le champ d’activité de l’association à l’amiante et de l’élargir à d’autres toxiques. Dans les chantiers navals, les ouvriers sont exposés à l’amiante et à d’autres produits dangereux, notamment lors des opérations de peinture ou de sablage.
Les ouvriers des bananeraies ont été exposés au chlordécone, un pesticide redoutable, qui a été massivement utilisé entre 1979 et 2000. Ce produit est responsable d’un surcroît de cancers de la prostate en Martinique, ainsi que de la naissance d’enfants malformés.
Alors que le chlordécone était déjà interdit en métropole, ses producteurs ont obtenu une dérogation pour la Martinique, afin d’écouler leurs stocks… Résultat : une pollution professionnelle et environnementale massive, une catastrophe écologique. Presque toutes les sources naturelles de l’île sont polluées. Et ce poison continuera malheureusement encore longtemps à faire des dégâts.

Quelle réflexion avez-vous eue sur le fonctionnement de l’association ?

Si l’AMDEVA existe, c’est grâce au dévouement et aux compétences des syndicalistes qui ont pris l’initiative de la créer. Mais l’association doit être ouverte à tous : aux victimes, à leurs familles, à tous ceux qui ont un problème lié à l’amiante ou à d’autres produits toxiques… Nous voulons qu’elle soit au service non seulement des victimes professionnelles mais aussi des victimes environnementales, en alertant par exemple les maires des villages concernés pour que les personnes qui vivent dans des habitations amiantées soient relogées dans des conditions décentes.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°24 (septembre 2007)