Juan Carlos Paul, président de la Fedavica,
l’association fédérale des victimes de l’amiante espagnoles

« Nous voulons élargir la brèche
ouverte par ce procès »

Juan Carlos, peux-tu nous raconter ton histoire ?

Je n’avais jamais entendu le mot « amiante » avant l’hiver 2002, quand ce matériau a été interdit en Espagne. C’est de la bouche de mon ami Lazare que je l’ai entendu pour la première fois. Lazare était défenseur des droits des travailleurs. Au retour d’une conférence à Barcelone, il a ressenti des douleurs dans le dos. Il a d’abord pensé qu’elles étaient la conséquence de son voyage de nuit en car. Puis il m’a dit que le diagnostic était clair : mésothéliome pleural. Lazare a caché l’origine de sa maladie à la famille ; ils étaient redevables de tant de choses à l’entreprise : les ventes à prix réduit, la piscine, les cadeaux de Noël des enfants, l’horloge pour les 25 ans de service. Il n’a dit qu’à moi que sa maladie était due à l’amiante.
La douleur de sa famille, la lutte engagée par sa fille
- âgée d’à peine 18 ans - contre Uralita dans l’unique but de comprendre ce qui était arrivé à son père, m’ont poussé à rechercher l’origine de ce mal mystérieux.
Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour réaliser l’ampleur de la tragédie silencieuse qui se déroulait dans ma ville de Getafe.
Un mois après la disparition de Lazare, en janvier 2003, j’ai réuni des anciens travailleurs, des médecins et des syndicalistes et j’ai organisé une conférence à Getafe, ouverte à toute la population pour l’informer des dégâts causés par l’amiante. C’est là qu’a germé l’idée de fonder une association locale, l’Avida, qui par la suite allait se fédérer avec d’autres pour constituer la Fedavica.

Comment la Fedavica est-elle structurée ?

Les associations travaillent essentiellement à l’échelon régional. La Fedavica joue un rôle de coordination, organise des rencontres et des mobilisations. La Fedavica a été fondée en 2008. Elle regroupe 7 associations régionales : Madrid, Valence, Pays Basque, Galice, Andalousie, Murcia, Castille. Elle assure l’interface avec les institutions nationales. En 2006, nous avons obtenu le vote par le Parlement d’un Plan de mesures globales en faveur des travailleurs atteints d’une maladie due à l’amiante et de leurs familles.

Quelle est la situation en Espagne ?

Ici l’amiante a été interdit tardivement, en 2002. Les effets commencent seulement à se faire sentir. Il y a encore un gros problème d’information et de prise de conscience. Nous n’avons ni statistiques officielles ni registre.
Les indemnisations octroyées par la Sécurité sociale sont ridicules (environ 1200 euros par personne). C’est pourquoi nos efforts se concentrent sur l’aide juridique aux victimes et le contentieux au civil pour faire reconnaître la responsabilité des entreprises. Depuis quelques années, nous travaillons à transformer les démarches individuelles en actions collectives. Cela nous a permis d’inverser la tendance   : alors que la justice donnait systématiquement raison aux entreprises, elle a pu avoir une meilleure visibilité du problème de l’amiante.

Et la dépollution ?

Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. Beaucoup d’usines ont été rasées sans la moindre précaution. Les mesures d’empoussièrement n’ont pas été faites sur les sites à risques.dont beaucoup n’ont d’ailleurs pas encore été répertoriés comme tels.

Quels sont vos prochains objectifs ?

Nous voulons élargir la brèche que nous avons ouverte grâce aux procès, obtenir des droits pour les travailleurs, supprimer les obstacles à la reconnaissance d’une maladie professionnelle dans la législation actuelle.
Nous voulons obtenir un fonds d’indemnisation des victimes comme le Fiva en France, mais pour cela nous avons d’abord besoin d’un registre national des personnes exposées à l’amiante. Nous demandons aux autorités sanitaires de consacrer les fonds nécessaires à la recherche sur un diagnostic précoce des pathologies liées à l’amiante. Nous travaillons aussi sur l’information, car - aujourd’hui encore - trop de gens ignorent le problème de l’amiante.
Mais il y a aussi des faits qui redonnent courage et confirment la qualité du travail développé par les associations locales. Durant la réunion s’est posé le problème de la disparité qui existe dans le traitement du problème de l’amiante par les institutions dans les différentes communautés autonomes [les régions ndlr] (N’oublions pas que la constitution espagnole est la plus fédéraliste d’Europe) et nous avons parlé de la nécessité de partager des expériences et initiatives au niveau européen. Comment se fait-il qu’en France existe un fonds pour les victimes sans équivalent dans les autres pays ? Comment se fait-il qu’en présence des mêmes agissements criminels des industriels, comme l’a souligné le procureur Guariniello, en Italie il y ait un procès pénal et que ce ne soit pas le cas dans les autres pays.
Nous avons à apprendre les uns des autres. A l’occasion de cette réunion, nous avons lancé l’idée d’organiser en Espagne une conférence sur l’amiante en commun avec l’Afeva et l’Andeva. Une telle initiative va dans le sens d’un souhait maintes fois formulé : la création d’un réseau européen des associations de victimes de l’amiante, (que certains nomment la « multinationale des victimes  ») qui soit capable de tenir tête aux puissantes multinationales de l’amiante.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°43 (septembre 2013)