La Cour d’appel de Turin confirme et aggrave la condamnation

3 juin 2013, Palais de Justice de Turin Dans une salle d’audience pleine à craquer, une nuée d’avocats et de journalistes. Les victimes italiennes attendent avec gravité le verdict. Venus de France, de Belgique, d’Espagne, de Suisse, du Pérou, des dirigeants d’associations sont à leurs côtés. La tension est palpable.
Quelques jours plus tôt, le baron belge de Cartier, condamné en première instance, est mort, échappant ainsi à la justice des hommes. Ce décès - dont on mesure mal les conséquences - nourrit l’inquiétude. Fidèle à lui-même, Schmidheiny, son co-accusé, n’a pas daigné se déplacer.
D’une voix monocorde, le président lit le verdict. On entend mal. Malgré les obscurités du langage judiciaire, on comprend que certaines victimes ne toucheront plus d’acompte sur indemnisation au civil et qu’il en sera de même pour l’INAIL, la Sécurité sociale italienne. Les gorges se nouent.
Arrivent enfin les bonnes nouvelles  : la peine de Schmidheiny passe de 16 à 18 ans de prison. Les victimes et les familles de Rubiera et de Naples seront, elles aussi, indemnisées. Des habitants exposés non malades aussi.
Puis vient la liste des personnes et des institutions auxquelles le tribunal accorde un acompte sur indemnisation au civil. Plusieurs centaines de noms, lus un par un. Les entendre est une douloureuse épreuve. A Casale, tout le monde se connaît et cette litanie de malades et de morts ravive tant de blessures. Le brouhaha qui gagne la salle perturbe l’écoute. Certains attendent en vain d’entendre le nom d’un proche.
Dans les couloirs, les journalistes recueillent les premières impressions de ceux qui portent ce combat depuis trente ans. Une page d’histoire vient de s’écrire. Ce jugement est un formidable exemple pour les victimes du monde entier.

 


« La solidarité internationale des victimes était au rendez-vous »

Au Palais de justice, une seconde salle d’audience a été ouverte pour que les lycéens de Casale Monferrato et l’importante délégation des victimes françaises puissent suivre la lecture du jugement en direct sur grand écran.
A l’appel de l’Andeva et de ses associations locales, une centaine de victimes françaises ont fait une nouvelle fois le voyage jusqu’à Turin. Les Capers d’Isère, de Bourgogne et d’Ardèche, l’Ardeva Dunkerque, l’Addeva 93, et les mineurs de Lorraine sont fidèles au poste.
Le jugement n’est pas traduit. L’analyser « à chaud » est difficile, même pour des Italiens. Mais chacun sent l’importance d’être là.
Le lendemain, à Casale, se tient une conférence de presse, avec des représentants des associations italienne, belge, française, espagnole et péruvienne.
Autour d’une table, dans l’urgence, on rédige et traduit une déclaration aussitôt lue en italien, français et espagnol par Bruno Pesce, Alain Bobbio et Juan Carlos Paul.
Dans la salle, les veuves de Dunkerque écoutent avec émotion les interventions de Romana Blassoti Pavesi et d’Eric Jonckheere, dont les familles ont été décimées par l’amiante.
Bruno Pesce et Nicola Pondrano appellent à continuer le combat.

 


18 ANS DE PRISON !

Le magnat suisse Schmidheiny est reconu responsable d’une catastrophe humaine et environnementale.
Sa peine passe de 16 à 18 années de prison.
Il est condamné à verser des acomptes sur indemnités à 900 victimes et ayants droit ainsi qu’à des habitants anxieux d’être atteints à leur tour d’une maladie mortelle.
Cet arrêt concerne non seulement les sites de Casale et Cavagnolo mais aussi ceux de Naples et de Bagnoli.
Un jugement historique pour un crime industriel de masse.
Mais la satisfaction des victimes italiennes n’est pas exempte d’amertume, car le décès du baron belge de Cartier peu avant le jugement éteint l’action pénale engagée contre lui et en exclut des centaines de plaignants.
Une nouvelle étape a été franchie, mais il faudra encore se battre pour faire appliquer le jugement. Schmidheiny ira en cassation. Il y aura bientôt un procès « Eternit bis » avec 200 nouvelles victimes dont la maladie s’est déclarée après la clôture de l’instruction. Il sera suivi d’un procès « Eternit ter » pour des salariés italiens contaminés par l’amiante d’Eternit dans d’autres pays.
Le combat pour la justice continue.

 


DÉCLARATION COMMUNE :
« Un verdict historique »

Casale Monferrato, le 4 juin 2013
18 ans de prison pour le magnat suisse Stephan Schmidheiny, dernier propriétaire de la grande multinationale de l’amiante Eternit !
Le verdict de la cour d’appel de Turin a aggravé la peine décidée en première instance en la faisant passer de 16 à 18 ans de prison (le procureur Guariniello avait requis la peine maximale de 20 ans).
Stéphan Schmidheiny a été reconnu coupable d’avoir commis une « catastrophe humaine et environnementale par tromperie ». La cour d’appel l’a reconnu non seulement pour les victimes des villes de Casale Monferrato et Cavagnolo, mais encore pour celles de Naples et Bagnoli, qui avaient été exclues du jugement en première instance.
La gravité de la peine correspond à la stratégie criminelle planifiée de la multinationale Eternit.

Pendant des décennies, le cartel de l’amiante, comme l’avait amplement démontré l’extraordinaire enquête du parquet de Turin, a poursuivi son expansion en cachant la nocivité et la cancérogénicité de cette fibre mortelle, provoquant ainsi les maladies et la mort de milliers de travailleuses, de travailleurs et de victimes environnementales ignorants du danger.
Nous, représentants des victimes d’Italie, d’Espagne, de Belgique, de France et du Pérou, présents hier avec d’autres délégations internationales à la lecture du jugement, nous voulons souligner trois enseignements exemplaires de ce verdict historique :
1) La vie et la dignité humaine doivent être préservées sur les lieux de travail et de vie. Personne n’a le droit de donner la priorité au profit sur la santé et la vie humaine.
2) Les multinationales sont très puissantes mais leur impunité peut être vaincue quand les victimes s’unissent et luttent avec le soutien de l’opinion publique et de la solidarité internationale.
3) L’amiante, qui continue à être produit et commercialisé dans les trois quarts de la planète, doit être interdit immédiatement dans tous les pays. En ce jour, nous célébrons la victoire de la Justice et de l’Espoir.

AFEVA (Italie),
ANDEVA (France)
ABEVA (Belgique),
FEDAVICA (Espagne),
CSA Amérique latine (Pérou)


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°43 (septembre 2013)